Le Monument de la Victoire

La reconnaissance du citoyen-soldat par le monument aux morts dans l’après guerre 14-18.
Celui de la “Victoire” à Bielle est inscrit monument historique.

À l’instar de l’église, la mairie et l’école, le monument aux morts est devenu un édifice familier de nos communes ; retour sur ce phénomène caractéristique.

L’armistice de la grande guerre est signé le 11 novembre 1918, la sortie de guerre est actée à Versailles le 28 juin 1919. Le XIXe siècle prend véritablement fin. Le bilan humain total (1) est terrible : 19 millions de morts, 21 millions de blessés. Pour la France on déplore : 1,7 million de morts, et plus de 4 millions de blessés. Il faut donc donner un sens à cette “boucherie”, bien être mort pour quelque chose.

Première réponse : en 1915, la mention honorifique “Mort pour la France” est ajoutée à l’état civil des victimes. Elle ouvre des droits, par exemple une sépulture individuelle dans un cimetière militaire, une pension de veuve de guerre…

Deuxième réponse : établir des lieux de mémoire pour rendre hommage aux victimes, ce sera en particulier le rôle du monument aux morts. Quelques uns existent déjà sur les champs de bataille de 1870, et près d’1 millier est érigé dans les communes jusqu’en 1913 (168 par le Souvenir Français).

Entre 1920 et 1925, en application de la loi, 95 % des communes de France érigent un monument aux morts qui par vocation se doit de transcender les divisions politiques et religieuses.

Néanmoins, suivant les régions, les débats sont parfois animés au sein des conseils municipaux pour le choix : de l’emplacement, du type de monument, des ornements (la loi de séparation de l’église et de l’état de 1905 est toute récente), et du financement. Mais le monument aux morts est avant tout l’expression collective du deuil. C’est un cénotaphe de proximité, “un tombeau vide” proche de la population, qui pour nos contemporains des années 20 répond à la nécessité immédiate d’honorer au quotidien la mémoire du fils, du père, de l’époux, du frère… tombé au combat.

Il est aussi l’expression de la volonté d’adresser un message aux générations futures. C’est un édifice laïque, il appartient et il est à la charge de la commune.

Il doit être implanté dans un lieu pouvant recevoir de la foule et visible de tous. La construction est financée par l’état, la commune et par la souscription. La plupart du temps les communes le choisissent sur “catalogue”. On dénombre souvent 2 monuments, 3 parfois, voire 4 dans une seule commune. Avec quelques 36 000 communes il est facile d’en imaginer le nombre, c’est un
phénomène de grande ampleur. Ils nous racontent tous une histoire.

Ces monuments sont parfois de véritables œuvres d’art, Ils sont de plusieurs types :

  • de la Victoire : stèle et/ou statue, poilu idéalisé, coq, lauriers en couronne.
  • Civique : c’est l’obélisque que l’on nomme aussi pyramide, ce monument est le plus répandu mais aussi le moins cher. Cette forme vient d’Égypte, elle est chargée de symboles comme l’essor de l’âme vers le ciel après la mort… De plus les quatre faces permettent de graver la longue liste des noms des morts.
  • Patriote : surmonté d’un coq, d’un poilu avec un drapeau…
  • Religieux : surmonté d’une croix ou en forme de croix latine.
  • Funéraire : traduit le deuil avec une urne funéraire.
  • Pacifiste : exprime la haine de la guerre, peu nombreux.

Les ornements, un langage symbolique :

  • la victoire avec la couronne ou la branche de laurier, la statue de la victoire ailée
  • la force avec la couronne ou la branche de chêne
  • la mort avec les palmes
  • la paix avec le rameau d’olivier, la colombe
  • la jeunesse fauchée avec la gerbe de blé
  • la patrie avec le coq, le drapeau, Jeanne d’Arc
  • la guerre avec les canons, les obus, les fusils, les grenades
  • le mérite, la bravoure avec la croix de guerre et l’étoile
  • le soldat avec le poilu triomphant, en sentinelle ou mourant; bravoure, respect…
  • la religion avec la croix latine et Jeanne d’Arc
  • les familles avec la représentation de civils (femmes, enfants…)
  • un espace sacré délimité par la clôture qui entoure le monument…

Les inscriptions sont civiques, patriotiques, pacifistes. Pour éviter toute discrimination la liste des victimes est généralement inscrite par année de décès et par ordre alphabétique. Peu de nom de femme sur les monuments, celui de La Forêt du Temple dans la Creuse en révèle un avec la mention “morte de chagrin”.

En général les monuments sont orientés vers l’est : c’est la manière symbolique de surveiller la direction par où est arrivé l’ennemi.

Bielle : le monument aux morts de “la Victoire”, situé près de la Mairie (place de la Victoire).

[Photo du Monument]

Le Préfet de la région Aquitaine, considérant « que le monument aux morts de Bielle présente au point de vue de l’art et de l’histoire un intérêt suffisant pour en rendre désirable la conservation
en raison de la qualité des sculptures et de la présence d’éléments représentatifs de l’artisanat des tranchées (canne du soldat ) » l’a inscrit en totalité au titre des monuments historiques.

Inscrit aux monuments historiques par arrêté du 21 Octobre 2014.De gauche à droite, détail de la canne du soldat : artisanat des tranchées, et

De gauche à droite, détail de la canne du soldat : artisanat des tranchées, et détails du vêtement de l’ossaloise, châle, capulet et nœud sur la manche : qualité des sculptures.

Le monument représente un soldat couronné (couronne de laurier) par une ossaloise en costume traditionnel de la vallée d’Ossau.

En 1924, date de sa construction, c’est Madame Pommé, une habitante de Bielle, qui a servi de modèle pour l’ossaloise. Les auteurs du monument sont : le sculpteur Albert Jouanneault (1844-1944) artiste connu notamment dans l’art funéraire; l’architecte orthésien Jean Caresse et l’entrepreneur Lafaille.

“AUX HÉROS DE LA GRANDE GUERRE 1914-1918” est inscrit sur le piédestal.

Sur cette photo  datée de 1925 (site Pirénéas), on distingue le monument érigé à cette époque au milieu de la place de l’ancienne mairie de Bielle.

Autres vues (source PYRENEAS) :

 

La scène représentée peut faire penser à la cérémonie de l’inauguration. Il est alors orienté vers l’est. La foule cache la grille qui l’entoure. Aujourd’hui cette grille sert de barrière au bord de l’Arriu-Mage. Un autre monument aux morts existe à Bielle en face de l’église.

Dans les Pyrénées Atlantiques 6 autres monuments aux morts sont classés : ils sont situés à Bayonne, Biarritz, Hendaye, Pau, Tardets et Urrugne.

Commémoration : le 24 octobre 1922. Le 11 Novembre est déclaré fête nationale, c’est le jour de “commémoration de la victoire et de la paix”, en 2012 la loi étend l’hommage à tous les “morts pour la France” des conflits anciens ou actuels.

Article de M. Vincent GARNOIX, membre de l’Association des Amis du Musée d’Ossau.

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(1) le bilan Reperes prend en compte les morts militaires et civils et uniquement les blessés militaires.